DU CAMOUFLAGE À LA LIBERTÉ : ÊTRE ENFIN SOI

On parle beaucoup du « masking » dans l’autisme : cette façon d’imiter les autres, de se camoufler pour être accepté·e, au point de s’oublier soi-même. Pendant longtemps, j’ai fait du masking sans même le savoir. J’ai changé de style, de comportement, d’attitude… pour entrer dans ce que la société attendait d’une femme.

Mais derrière le maquillage, les jupes serrées ou les sourires convenus, il y avait une petite fille qui rêvait juste d’être maman, qui détestait les vêtements qui grattent, et qui se sentait bien dans ses leggings noirs et ses hauts roses.

Dans cet article, je vous raconte mon parcours de femme autiste de 56 ans. Un chemin qui passe par le harcèlement, l’hyper-adaptation, les agressions, les illusions de séduction… jusqu’à la maternité, la douceur, et enfin le droit d’être vraiment moi.

Il est important de savoir que la recherche d’identité, et notamment l’exploration du genre, est fréquente chez les personnes autistes. Beaucoup rapportent une sensation de décalage avec les normes sociales de genre dès l’enfance, et une certaine liberté à questionner ces attentes. Cette exploration peut prendre des formes très variées : identifications multiples, essais de styles opposés, rejet ou appropriation des stéréotypes féminins ou masculins. L’autisme, en raison de son impact sur la perception sociale et les codes implicites, rend parfois ces attentes difficiles à intégrer de manière fluide. Mais cela permet aussi, chez beaucoup, une expression plus authentique, plus fluide et moins contrainte par les normes binaires.

Depuis que je suis toute petite, je ne me suis jamais vraiment posé de questions sur mon apparence. Enfant, ce sont mes parents qui choisissaient et m’imposaient mes vêtements. Je ne savais même pas où ni quand ils les achetaient, et à vrai dire, cela n’avait aucune importance pour moi. Ce qui comptait, c’était simplement de ne pas être mal à l’aise. Je me souviens encore de l’horreur que m’inspiraient certains vêtements comme les sous-pulls, les cagoules, les k-way ou les collants… tout ce qui me grattait, me serrait ou m’enserrait comme dans un carcan.

Finalement, je ne rêvais que d’une chose depuis que j’étais petite : devenir maman. Ce désir était profond, instinctif. Je me souviens même que je ne m’intéressais pas aux poupons ni aux poupées, parce que ce n’étaient pas de vrais bébés. Cela n’avait aucun sens pour moi de faire semblant de m’en occuper. Ce que je voulais, c’était la vraie chose, le lien réel, l’amour inconditionnel.

Puis est arrivée la pré-adolescence. Je n’avais pas d’amis, et j’étais même harcelée à l’école. J’étais le  « serpent à lunettes » la bizarre, la moche. On se moquait de ma façon de marcher, de me tenir, de parler. J’avais l’impression d’être en décalage constant. C’est moi qui, avec le temps, me suis définie comme un « garçon manqué ». J’aurais adoré être un garçon. Je me sentais plus libre dans cette image-là, loin des attentes qu’on imposait aux filles. Et surtout, je passais le plus clair de mon temps plongée dans les livres, à vivre d’autres vies, ailleurs, loin des moqueries.

Mais l’adolescence a tout bouleversé. J’ai compris que pour être acceptée, il fallait ressembler aux autres. Et à ce moment-là, j’ai aussi commencé à être attirée par tout ce qui touchait à la féminité : le maquillage, les bijoux, les soins de beauté. J’avais vécu des agressions sexuelles, et je crois qu’une part de moi cherchait à reprendre le contrôle de mon corps, de mon image. Je me suis intéressée de plus en plus à la sexualité. Je n’avais aucune conscience des limites entre le besoin d’affection et la séduction et surtout je n’avais aucune idée du fait que certains gestes venant d’hommes adultes avaient plus à voir avec des abus que de la tendresse et de l’amour.

Dès que j’ai commencé à avoir mes premiers revenus j’ai cherché un style à moi. J’ai exploré différents looks : tailleurs ,talons, jupes serrées, vêtements près du corps, longues jupes, un style gothique très soft, un brin ancien. D’un style à l’autre, c’était une façon de me façonner, de me réapproprier mon apparence, d’exister selon mes propres codes, même si ces codes restaient influencés par ce que je pensais que la société attendait d’une jeune femme. Mais dès que j’en avais l’occasion, le naturel revenait au galop, sans maquillage, pieds nus et vêtements confortables.

Et puis, un jour, tout a changé. C’était pendant ma première grossesse. Mon corps ne voulait plus de ces artifices. Le maquillage me paraissait étranger, les vêtements inconfortables devenaient insupportables. Ma priorité est devenue le bien-être, le vrai. Le confort. La douceur. Et surtout, je me suis totalement recentrée sur cet enfant à naître. J’ai enfin accepté pleinement l’idée d’être une femme. J’en voyais enfin les avantages, la force, la beauté. Puis il y a eu le second enfant, et peu à peu, c’est mon rôle de maman qui a pris toute la place dans mon cœur et dans ma vie.

J’ai alors vécu une période où je jouais sur deux tableaux. Chez moi, avec mes enfants, je privilégiais mon confort, mon cocon, mon rôle de maman. Mais lorsque j’étais invitée quelque part, ou qu’il fallait sortir au restaurant, je ressortais le maquillage et les vêtements plus habillés. Je me préparais comme on prépare un costume, parce que c’était ce qu’on attendait. J’alternais entre la femme authentique que j’étais devenue, et celle que je pensais devoir redevenir pour être « présentable » aux yeux des autres.

Mais au fur et à mesure du temps, sans même y faire attention, j’ai laissé le naturel prendre le dessus. J’ai fini par abandonner complètement le maquillage — mes tremblements essentiels m’ont bien aidée à prendre cette décision — et j’ai commencé à acheter ce qui me plaisait vraiment. Des pantalons ou leggings noirs, pratiques, confortables, que j’associais à des hauts roses, puis de plus en plus à l’effigie de mes personnages Disney préférés. Ce n’était plus une stratégie, ce n’était plus un compromis : c’était moi, tout simplement.

Je suis revenue à moi, tout simplement. Et ce « moi » aime le rose, les pyjamas en pilou, les univers Disney, les licornes les objets doux et mignons. Oui, cela peut paraître enfantin. Et alors ? C’est moi. Je suis une femme autiste de 56 ans, et j’assume pleinement qui je suis aujourd’hui. Je n’ai plus besoin de jouer un rôle. Je ne me conforme plus. Je suis.

Si je partage ce bout de chemin avec vous, c’est pour dire à toutes celles et ceux qui se cherchent encore : vous avez le droit de changer. De tester. D’essayer. De revenir à vous. De vous choisir. Il n’est jamais trop tard pour être pleinement soi-même.

Et parfois, le vrai bonheur, c’est juste un câlin, un pyjama confortable et une chanson Disney en fond sonore.

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