CATACLYSME…

Des hurlements stridents me vrillaient les tympans, mais je ne pouvais rien faire pour m’en éloigner et cela d’autant plus que je réalisai que c’était moi qui poussait ces cris atroces. Je crachais ma douleur, ma rage et ma colère sur le monde sans pouvoir m’arrêter. 

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été quelqu’un de solitaire. J’ai toujours aimé vivre dans une bulle et avoir le moins de contacts possibles avec le monde extérieur. D’ailleurs, pour être tout à fait honnête, ma nature totalement égocentrique fait que tout ce qui n’est pas directement relié à moi ne fait que m’effleurer sans avoir de véritable impact sur mon existence. 

J’imagine bien ce que vous pouvez penser de moi à cet instant précis et je peux même vous aider à l’exprimer tout haut car je n’ai aucune gêne à être ce que je suis. Je ne m’intéresse qu’à ma petite personne, le monde doit tourner autour de moi et si ce n’est pas le cas, tant pis ! Cela ne m’intéresse pas ! 

Evidemment vous allez me dire que ce n’est pas possible de vivre ainsi et que l’on a toujours besoin des autres pour être heureux, mais là je vous répondrais qu’en ce qui me concerne, non ! Je n’ai besoin de personne. Je me suis construit, je me suis débrouillé et j’ai toujours mené la vie qui me convenait, seul. 

Pour tout vous dire, j’ai choisi de vivre confiné (et oui, pour moi c’est un choix). Minimaliste, je n’ai que peu de besoins. Une minuscule chambre sans fenêtre, mais avec une température constante quelle que soit la saison. Je suis logé confortablement, je ne connais pas la faim ou la soif et je passe le plus clair de mon temps en rêveries ou méditations sur le sens de la vie. 

Ne vous méprenez pas sur mon compte, je ne suis pas agoraphobe et ne souffre d’aucune forme de phobie sociale. Moi, mon truc, c’est la musique et lorsque je suis bercé par le rythme régulier et doux des percussions, je ferme les yeux et suis aussitôt envahi de couleurs et de sons qui me donnent cette sensation magique de flotter entre deux eaux. 

Mon corps s’affranchit de toutes les contraintes terrestres. Plus de gravité, plus de limites, je vole, cabriole, je forme un tout avec l’univers, une seule entité, une seule conscience. 

Oh, je vois bien dans votre regard ce que vous pouvez penser de moi mais, pour être honnête, je m’en fiche. Le confinement est pour moi un art de vivre, une philosophie même et ma vie était parfaite. 

Pourquoi était ? Que s’est-il donc passé pour que vous fassiez ma connaissance à un moment où je suis si peu à mon avantage ? Eructant et bavant comme un animal sauvage. 

Depuis quelques temps déjà je commençais à me sentir oppressé et même à l’étroit dans mon petit nid douillet. Bien sûr je n’avais aucune envie de renoncer à ma condition de reclus volontaire, mais plus le temps passait et moins je me sentais à l’aise. De plus, bien que je n’arrive pas à me souvenir du moment exact où ça avait commencé, un conflit insidieux s’était installé entre ma logeuse et moi. Le contrat implicite qui nous liait était toujours respecté, je ne la croisais pas mais je sentais que la qualité des services qu’elle m’avait offerts jusqu’à maintenant était moindre. Je me sentais moins rassasié, mon cadre de vie n’était plus aussi sécurisant et, moi qui suis très sensible à l’atmosphère ambiante, j’avais la très nette impression qu’elle se lassait et voulait que je parte. 

J’aurais quand même pu continuer à vivre comme je le faisais et ce n’était pas ces quelques désagréments mineurs qui allaient m’en empêcher. Malheureusement, le destin en avait décidé autrement et c’est sous la forme d’un séisme cataclysmique qu’il s’est présenté à ma porte. Au début j’ai cru à une petite secousse tellurique comme il s’en présente un peu partout dans le monde depuis la nuit des temps. La Terre, notre merveilleuse planète, est un être vivant et parfois, elle a besoin de s’ébrouer, se secouer pour se débarrasser des parasites qui l’encombrent et la démangent. 

Mais ce fut pire, bien pire ! Durant deux longues journées, les répliques se sont succédées, de plus en plus rapprochées, de plus en plus violentes. Je me suis retrouvé bloqué, enseveli. Ma propre maison était en train de se transformer en tombeau. La douleur était insoutenable, pas une seule partie de mon corps n’était épargnée par la pression qui s’exerçait sur moi. Je ne pensais plus qu’à une chose, fuir, quitter le refuge qui avait été le mien jusqu’à ce qu’il devienne le piège mortel qui était en train de m’écraser. Alors que je pensais bien mon  heure arrivée, j’ai rassemblé mes dernières forces, bandé tous mes muscles et j’ai commencé à progresser vers la seule direction possible en espérant que ce soit celle qui me mènerait vers la sortie. 

Cela me prit des heures. Millimètre après millimètre j’avançais avec un seul objectif en tête, tenir un peu plus longtemps. Surtout ne pas penser trop loin, ne pas imaginer la sortie, la délivrance, de peur de me décourager et d’abandonner par épuisement. Chaque avancée était une victoire à elle toute seule que je fêtais en m’encourageant pour la suivante. Dans le même temps, je ne pouvais empêcher mon cerveau de tourner. Les contrariétés des derniers jours remontaient jusqu’à ma mémoire, enflaient, grossissaient comme si le tremblement de terre n’était au final que la fin inéluctable d’une série d’événements annonciateurs. Ma rage de vivre et ma colère se confondaient dans une même énergie qui me donnaient la force de continuer encore et encore. 

Tout à coup, je sentis un changement. Des bruits de voix me parvenaient. Les secours étaient là, mobilisés. Je continuais à ramper lorsque je sentis qu’on me saisissait. Mais au lieu de m’aider à glisser en douceur, l’andouille qui s’était mis en tête de me sauver m’attrapa n’importe comment par la tête et tira pour me faire sortir. La douleur fut horrible et d’une violence insoutenable. Je me mis à hurler alors que des mains me sortaient du piège où j’avais failli rester pour toujours. L’air me déchirait les poumons, j’étais gelé, enragé mais j’étais en vie. 

 

— Félicitations ! C’est un magnifique petit garçon que vous avez là !
— Comment allez-vous l’appeler ?
— Fabien ! Mon bébé, mon amour, j’avais tellement hâte de te rencontrer…

En quelques secondes, tout s’envola. La douleur, la rage, la colère, les souvenirs de ma vie de reclus, tout. Les yeux dans ses yeux, la douceur de sa voix, la chaleur de ses bras. Maman…

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