Richard était en nage. Les vêtements collaient à sa peau et le sel de sa sueur brûlait ses écorchures. Il fit une pause pour s’essuyer mais ne réussit qu’à étaler un peu plus de poussière et de sang sur son visage. Son pied glissa, il faillit perdre l’équilibre mais se rattrapa à la dernière seconde. La joue collée à la falaise ocre, il entendit les débris tomber quelques mètres plus bas, à côté de son scooter en miette. Il avait eu de la chance une fois en survivant à une chute de plusieurs mètres, mais il savait qu’il ne fallait pas tenter le diable, le miracle ne se reproduirait pas. Sous le soleil brûlant de ce milieu de journée, il reprit l’escalade qui devait lui permettre de s’extraire du précipice dans lequel il était tombé. Il se servait des racines et des buissons comme points d’appui mais se blessait quasiment à chaque prise. La souffrance était indicible mais il tenait ; pour Joan ; pour sa femme.
Au moment du choc qui l’avait envoyé dans le décor, elle se trouvait sur sa propre vespa juste derrière lui. Était-elle tombée, elle aussi ? En tout cas, il n’y avait pas trace d’elle ni de son engin donc elle était forcément restée sur le chemin. Il avait essayé de l’appeler, avait crié de toutes ses forces, mais personne ne lui avait répondu. Elle avait dû également chuter et peut-être même se blesser gravement. Dire qu’il aurait eu son téléphone sur lui si Joan n’avait pas insisté pour garder sa sacoche dans son propre sac à dos. Elle était vraiment étrange depuis quelque temps, un rien l’agaçait et la contrariait. Du coup, lorsqu’elle lui avait dit qu’elle rêvait de voir son cousin préféré qui vivait dans le sud de la France, Richard avait tout de suite accepté pensant ainsi la sortir de sa mélancolie.
Il arriva au passage le plus compliqué. Défiant toute logique gravitationnelle, deux pins maritimes avaient poussé perpendiculairement à la paroi, formant un barrage qui allait l’obligeait à s’éloigner du contact rassurant de la roche. Il eut une pensée reconnaissante pour son père qui l’avait obligé pendant des années à le suivre par n’importe quel temps lors de ses entraînements de varappe. Il respira un grand coup avant d’agripper la branche la plus proche. Il poussa sur ses pieds afin de prendre l’élan qui allait lui permettre de se rétablir directement sur les troncs. Il échoua et se retrouva pendu au-dessus du vide. Il était terrifié mais serra les dents avant de recommencer à se balancer. La troisième tentative fut la bonne, il avait eu raison de faire confiance à sa bonne étoile. En plus, c’était sûrement grâce à ces arbres s’il n’était pas mort au moment de l’accident. ils avaient certainement freiné sa chute.
En quelques minutes il se retrouva couvert d’une résine collante qui entrava encore plus sa progression. Il n’arrivait plus à se débarrasser des saletés collées à ses mains. Epuisé, il profita de la stabilité toute relative des troncs entrecroisés pour faire une petite pause. Dans quel état allait-il trouver sa princesse ? Il la revoyait encore, si belle dans sa petite robe noire, le jour où ils s’étaient rencontrés pour la première fois. Elle était tout ce dont il avait toujours rêvé, un véritable coup de foudre qui les avait conduits à se marier au bout de trois mois. Il était tellement fou d’elle qu’il venait même de vendre ses parts de la start-up qu’il possédait afin de pouvoir profiter de la vie à deux en toute tranquillité. Il le lui avait annoncé alors qu’ils passaient leur première nuit chez le fameux cousin, un gentil gars d’ailleurs. S’il était arrivé quelque chose de grave à Joan, il ne le supporterait pas.
Il regarda vers le haut. Plus que trois mètres et il y serait. En plus le promontoire était un peu moins à pic. Oubliée la chaleur intenable, oubliées les plaies sanguinolentes et la fatigue, oublié même le fait que l’amour de sa vie ait tellement insisté pour partir en balade en dépit de la canicule qui interdisait l’accès des calanques aux promeneurs. Tant pis, il appellerait les secours et paierait même le triple de l’amende s’il le fallait afin de la sauver. Il avait échappé à la mort de peu et à partir de maintenant, ils profiteraient de la vie jusqu’à la dernière seconde.
Ses muscles étaient durs et douloureux, il avait une crampe au mollet droit qui lui donnait envie de hurler mais il continuait encore et encore. Enfin, il put voir le muret qui bordait la route. Il semblait ébréché, c’était ici qu’il avait dû le percuter. Il s’en souvenait bien, pile au moment où Joan avait poussé un cri. Il s’était retourné pour voir ce qui lui arrivait et avait perdu le contrôle de son deux-roues. Un accident on ne peut plus bête.
— Joan ! Joan ! Mon amour, je suis là !
Il atteignait enfin son but, Sa voix éraillée par l’effort et la soif ne portait pas très loin mais assez pour qu’une jeune femme blonde et belle comme le jour s’éloigne de l’homme qui la tenait dans ses bras. Doucement, elle s’approcha du petit mur qui séparait la route du vide.
— Chérie ? Tu n’as rien ? J’ai eu tellement peur. Il escalada le parapet et réussit à tenir en équilibre dessus. Tu as appelé ton cousin, c’est bien. Il va m’aider. Je n’en peux plus.
Et c’est à l’instant précis où une simple poussée le renvoya vers l’abîme dont il venait difficilement de s’extraire qu’il comprit enfin que la douceur apparente d’un ange peut parfois cacher la noirceur d’un démon.