Je suis le centre du monde, le point central de l’espace et de l’univers. Je suis l’Unique.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été seul, même lorsque je n’étais qu’un petit amas de cellules en migration dans l’espace. Qu’il est loin ce temps où mon lieu de vie me paraissait immense et infini, je n’étais alors qu’un petit noyau qui paraissait bien minuscule dans la galaxie. J’avais l’éternité devant moi et n’en avais nullement conscience.
Aujourd’hui, tout est différent. Alors que j’ai amassé toutes les connaissances et la sagesse du monde, je sais que l’heure de ma fin est proche. Petit à petit j’ai grossi, je me suis étendu jusqu’à envahir le moindre petit interstice de libre. Je me suis nourri de tout ce qui m’entourait et passait à ma portée. Mon expansion et ma croissance étaient inexorables, tout comme maintenant l’heure de la désintégration finale.
Tout organisme vivant est amené à grandir et à évoluer à chaque minute de son existence. Lorsqu’il en devient incapable, lorsqu’il arrive au bout de ses capacités et de son énergie, il meurt. Mais ne vous méprenez pas, je ne me plains pas. J’ai bien vécu et j’accepte le glas de l’horloge de la destinée.
Je n’ai qu’un seul regret, une question restée sans réponse. D’où je viens ? Qui m’a créé ? Est—ce qu’il existe quelqu’un ou quelque chose au-dessus de moi ? En deux mots, quel est le but de mon existence ?
Il me semble que si je pouvais donner un sens à ma vie, il me serait plus facile d’accepter de donner un sens à ma mort prochaine.
Lors de ma conception, du grand big-bang, je n’étais qu’une petite cellule sans défense qui paraissait totalement inapte à la survie dans un monde en plein chaos. Mais derrière mon apparente faiblesse, pulsait une volonté de vivre plus forte que tout. Je me suis accroché à la matrice de l’infini et me suis nourri de toute l’énergie dont j’avais besoin pour croitre et permettre à chacune de mes cellules de se multiplier.
Quelle aventure passionnante que celle de grandir. Chaque journée m’apportait son lot de découverte et de transformation. Je me renouvelais sans cesse et n’avais pas le temps de m’ennuyer une minute, je peux vous l’assurer. Chacun de mes sens était constamment sollicité, évidemment pas de la manière dont vous pouvez l’imaginer, mais je pouvais voir des lumières, des flashs de couleur, sentir des mouvements se répercuter à la surface de ma peau, entendre des sons résonner et m’imprégner de multiples parfums et odeurs.
Tout comme le fond des océans, mon univers n’est pas abonné au silence, je peux vous l’assurer. Au contraire, je m’y sens constamment entouré, enveloppé de bienveillance et d’amour et cette certitude de ma non-solitude me donne cet immense espoir ou cette incroyable illusion de ne pas être seul dans ma galaxie.
Je suis certain qu’il existe quelque part un être qui pense à moi, qui me veut tel que je suis avec mes pensées, mes idées et mes défauts. Je suis certain que j’existe pour un autre être qui peut—être m’aura rêvé et créé à son image. Je suis certain…
Une douleur absurde lui vrilla le cerveau, que se passait-il, était-ce déjà la fin ?
Je m’étais attendu à tout, à me voir me désagréger petit à petit ou à me désintégrer en quelques centièmes de secondes, mais je n’avais pas du tout imaginé la souffrance et la douleur qui venaient de me traverser ainsi. Pour la première fois de ma vie, je ressentais ce sentiment diffus qu’était la peur, encore un nouvel apprentissage dont je devais m’imprégner alors que je n’aurais jamais l’occasion de m’en servir. Pour quelle raison, si ce n’était pour me faire comprendre qu’en dehors de moi il n’y avait rien dans l’univers. Quel créateur aurait permis une telle horreur ? Quel amour pourrait exister dans un tel monde ?
La souffrance repris, plus forte, plus aiguisée, à des intervalles de plus en plus rapprochés. L’unique n’était plus en état de penser. Son monde basculait, sa surface broyée par de multiples tremblements ne délimitait plus rien. Il avait perdu son équilibre, son centre de gravité, il était au bord de l’implosion et appelait la mort, de toutes ses forces. Un flash lumineux et incandescent le pénétra jusqu’à la plus profonde de ses cellules, un hurlement éclata dans ses tympans, un froid glacial l’envahit. Était—ce la fin ? La délivrance ? Certainement, sinon il ne se serait pas senti aussi étrange d’un seul coup. Il avait chaud, il était bien, il ouvrit les yeux et vit le plus bel ange du monde qui pleurait par amour pour lui. Il s’endormit.
« Félicitations, votre bébé est magnifique ! Comment allez-vous l’appeler ? »
Sublime comme toujours 😍
Merci mon Dono 😘