— Simon ! C’est l’heure ! Lara t’attend.
— Agacé, Simon regarde la station météo qui lui confirme que la température atteint difficilement les 0° à l’extérieur.
— Lara adore la neige et elle n’a pas pu sortir hier à cause du mauvais temps.
Lara adore la neige, Lara adore le soleil, Lara adore même la pluie et sauter dans les flaques. De toute façon, Lara adore sortir alors que lui préfère rester à l’intérieur sur son ordinateur. Il travaille mais ce n’est pas la priorité dans la maison de sa tante où il vit depuis qu’elle est devenue veuve.
Elle ne pouvait rester seule dans cette grande maison et comme il traversait une mauvaise passe…
Malheureusement, il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait à l’époque.
— Je travaille sur un chapitre très important de mon livre tante Elisabeth, pourquoi Lara ne profiterait-elle pas du jardin ce matin ? Nous aurons toute l’après-midi pour nous promener.
— Non, non, non ! Regarde-la devant la barrière, elle n’en peut plus du jardin et elle est tout excitée à l’idée de sortir avec toi. Tu ne peux pas la décevoir, voyons. Tiens, prends le sac avec son goûter, elle aura certainement faim vers dix heures et elle devient grincheuse lorsqu’elle n’a pas sa collation.
Simon est furieux. S’il avait su qu’il serait à la disposition d’une « petite princesse » en venant, il aurait tout fait pour se casser les deux jambes au lieu de prendre le train pour s’enterrer en pleine montagne.
— Reste-là !
Il la bloque alors qu’elle veut se jeter dans la grande poudreuse.
A peine ont-ils dépassés les grands pins lui bouchant la vue de la maison, qu’il en profite pour lui mettre une claque derrière la tête. Les grands yeux tristes et dorés de la « fifille à sa maman » le regardent avec un petit air de reproche mais il s’en fiche, elle ne dira rien. Elle ne dit jamais rien.
Il la lâche et part à grandes enjambées. Qu’elle le suive ou pas lui importe peu. Il est frigorifié en en plus il a oublié d’enfiler son bonnet et ses gants, il manquerait plus qu’il attrape des engelures et sa journée sera complète.
— Evidemment toi tu ne risques rien, même pas une pneumonie, pourtant ça me ferait des vacances.
Pensif, il la regarde batifoler dans la neige. Une pneumonie, ça ne serait pas si mal pour être tranquille. Plus besoin de sortir dans le froid de l’hiver, il pourrait s’enfermer dans sa chambre et écrire pendant des heures.
Simon grommelle et rumine sa rancœur. Il aurait dû être seul avec sa vieille tante comme avant, quand il était l’unique centre d’attraction de cette femme qui n’avait jamais eu d’enfant à elle.
Tout avait bien commencé pourtant lorsqu’il s’était installé avec elle mais l’une de ses connaissances s’était inscrite comme famille d’accueil et lui avait proposé d’en faire de même. Il s’agissait de donner du sens à sa vie et d’être utile à la société.
Lara avait fait son entrée dans la grande maison pour ne jamais en repartir. Non seulement sa tante en était totalement devenue gaga mais en plus, personne n’avait voulu l’adopter car on avait découvert chez elle des problèmes comportementaux importants.
Impossible d’avoir une vie sociale ou de se rendre en ville. Elle se mettait à trembler, geindre et même hurler dès qu’elle voyait du monde. L’horreur absolue quand les gens vous regardez comme si vous étiez un criminel ou un bourreau et impossible également de la faire garder à la maison. Elle pouvait devenir très agressive si une personne qu’elle ne connaissait pas s’aviser de toucher à ses affaires.
Sa tante lui trouvait toujours des excuses mais lui n’arrivait plus à supporter ces contraintes quotidiennes. Il ne voulait plus vivre une minute de plus dans ces conditions.
Il repense à la pneumonie mais non. Il faudrait encore jouer les garde-malades et rester à côté d’elle la nuit. Il aurait encore moins de temps pour lui. Il faudrait quelque chose de plus radical, de plus définitif même. Il la regarde s’éloigner de plus en plus de lui pour se rapprocher du ravin. C’est un passage dangereux, surtout l’hiver alors que la neige recouvre les petits murets censés protéger les promeneurs du vide. Dix mètres plus bas se trouve le torrent, gelé à cette période de l’année. Une chute serait fatale.
Après-tout, les traces sont claires, c’est Lara qui est partie vers là en courant, il n’aura fait que la suivre pour essayer de la rattraper. De toute manière, personne ne pourrait dire le contraire, elle n’obéit jamais et n’écoute que lorsqu’elle en a envie.
Oh non ! Elle revient vers lui. Il était si près du but, si prés de l’accident. C’était trop beau pour être vrai. Tout à coup il réalise que Lara ne vient que pour une seule chose, son goûter. Il se met à rire et retire l’affreux sac à dos rose bonbon de son épaule. Il fouille, à la recherche des biscuits préférés de la « merveille à sa maman ».
Il lui donne le premier tout en continuant à avancer vers le bord du précipice, un second pour qu’elle le suive sans rechigner et au moment de lui glisser le troisième, il le lance dans le vide.
Les yeux dorés ne comprennent pas ce qui arrive, Lara regarde Simon qui essaye de se rattraper à ce qu’il croit être des pierres mais la neige est trompeuse et se désagrège sous ses doigts. Il crie, mais elle ne peut pas l’aider. Une femelle saint-bernard de 80 kilos qui a cru que son maître voulait jouer avec elle n’a pas les moyens d’aider un homme qui chute au fond d’un gouffre. Tout ce qu’elle peut faire, c’est hurler à la mort.
La dernière chose qu’entendra Simon avant de s’écraser tout en bas.
Whaou ! Elle est dure celle-là !!! Bravo ma Nath